Elle se demandait souvent pourquoi ce n'était pas elle qui était morte. Enfin, qu'elle soit vivante était déjà en soit une victoire. Les jumeaux, souvent, on perdait les deux bébés. Ou la mère. Ou les trois. Mais non, ce jour-là, Line et sa mère sont restée en vie. Un miracle de Dieu, disait le père. Tu parles, comme si Dieu avait quelque chose à faire de ces malheureux. Quoi qu'il en soit, la soeur jumelle de Lina ne résista pas. Et on lui avait toujours dit que c'était elle la grande, la plus grosse, celle qui était choisie pour vivre. Mais elle ne comprenait pas vraiment: pourquoi elle ? Pourquoi l'autre bébé n'aurait pas pu survivre, mais en étant plus faible ? Etait-ce sa faute ? Parce qu'elle avait trop prit de place ? Peut-être bien. Prendre trop de place. Elle en avait toujours peur. Rester le plus discrète possible. Se taire. S'effacer. C'était l'histoire de sa vie. Ses parents vivaient à la campagne comme la plupart du peuple d'Angleterre. Ils avaient une petite ferme, rien de bien luxueux. Ca les faisait à peine vivre. Elle avait grandit là, faisant toujours attention à ne pas se faire remarquer, à obéir sans rechigner. Et ils répétaient qu'elle ferait une sacrée bonne servante à obéir ainsi alors que ses soeurs râlaient. Elle ne pensait pas qu'elle ferait bonne. Elle ne voulait pas, en fait. Recevoir des ordres étaient quelque chose qu'elle détestait. Au fond d'elle, tout bouillonait. Mais elle se taisait, calmant sa nervosité. Pourquoi ne pouvait-elle pas donner les ordre pour une fois ? Pourquoi n'avait-elle pas le droit de commander ? Elle savait que sa vie était vouée à ce qu'elle exécute ce qu'on lui disait de faire. Si ce n'était pas ici, c'était autre part. C'était afrreusement frustrant. Line, pourtant, gardait le silence et son visage pâlme restait fermé face à leurs paroles. Si elle disait vraiment ce qu'elle pensait, qui sait ce qu'il se passerait ? Elle avait déjà tué sa soeur en voulant se battre, alors qu'elle n'était qu'un bébé. Elle ne voulait pas que quelque chose de la sorte se reproduise.

Elle avait quatorze ans lorsque pour la première fois ses parents lui annoncèrent qu'elle allait partir. Elle ne comprenait pas vraiment ce que ce "partir" voulait dire. Elle l'ignorait complètement. Et elle ne savait même pas où. Ils lui avaient parlé d'un homme qu'elle irait servir, là bas, en ville. Ils lui ont dit qu'il était très respactable et même riche. Que c'était une occasion à ne pas râter. A vrai dire, ils pouvaient bien lui dire cela, même si elle n'était pas d'accord, elle irait sans broncher. Comme toujours. Deux mois plus tard, elle pénétrait pour la première fois dans le manoir. Ca sentait drôle. Le linge propre peut-être. Le savon. Ou elle ne savait quoi. Un domestique vint la chercher. On la présenta à cet homme. Il lui faisait peur. Ce n'est pas qu'il la maltraita, non. Mais il était grand comparé à la plupart des hommes de Londres. Sa voix grave resonnait et lorsqu'il prononçait son prénom, elle frissonnait. Elle avait peur, aussi, qu'il ne la touche. A vrai dire, il était un peu libertin et aimait la compagnie des prostituées de luxe. Parfois, elle le prenait, la scrutant se mordant la lèvre. Elle ignorait si il était dans ses pensées ou si il imaginait vraiment se rapprocher d'elle. Elle viva dans cette angoisse durant un an. Et il ne la toucha jamais. Oh, il glissait parfois une main dans son dos, dans ses cheveux, sur sa joue. Il lui souriait, lui disait des mots gentils. Mais cela n'alla jamais plus loin et elle fut bien contente. Elle comptait garder son corps pour celui qu'elle aimait. Pensée d'une jeune fille en fleur. Pensée d'une jeune fille bien trop romantique. Et puis, un jour, il la convoqua. Elle se planta face à lui, les yeux baissés. Il lui apprit qu'elle partirait. Avec une jeune femme. Il lui offrait une servante et cette servante était elle. Il lui avoua qu'il l'aurait bien gardée, mais qu'elle était encore trop jeune. Elle ne comprit pas vraiment cette phrase et préféré ne jamais y réfléchir, à vrai dire. Une semaine plus tard, elle accompagnait une certaine Miss Capulet vers la maison offerte également par cet homme. Elle ne savait pas vraiment quoi penser de cette femme. Elle était très belle, oh oui, ce qu'elle l'enviait d'être aussi belle. Mais elle paraissait aussi très froide. Elle ne voulait pas d'une maîtresse méprisable. Et de toute évidence, à première vue, le destin lui avait encore joué un sale tour. Pourtant, il s'avéra vite que sa première impression fut mauvaise. Il y avait, au début, comme une gêne entre elle. C'était la première fois que Line servait une femme et cette femme devait avoir pour la première fois une servante. Mais très vite, étant toutes les deux seules dans cette maison (bien que souvent la compagnie d'un homme vienne briser cette "solitude") elles avaient appris à se connaître et à s'apprécier. Jeune et loin de sa famille, Line voyait en elle comme une grande soeur. Elle était même devenue plus proche d'elle en un an qu'elle ne l'avait jamais été avec ses soeurs.

Aujourd'hui, Line a seize ans. Sa vie se résume à servir Miss Capulet. Elle ne se plaint pas, parce qu'il y a pire comme maîtresse. Et puis, elle aime la façon dont elle lui parle. Line est jeune. Qu'est-ce qu'on a à raconter quand on a seize ans ? Tout reste à vivre.

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