L'herbe et les fleurs tapissaient tout juste notre doux paysage d'Angleterre en ce début de printemps, lorsque mes premiers cris percèrent la quiétude de l'aube. Ce matin de l'an de grâce 1515 annonçait, pour le malheur de feu mon père, une deuxième fille pour le Comte et la Comtesse d'Ashworth. Mes parents me baptisèrent Margaret Katherine Aliénor Ashworth, en hommage à certains de mes ancêtres qui me sont inconnus.
À l'instar de la privation d'affection d'un père insatisfait, ma mère et ma grande sœur, Emily, me comblèrent d'un amour sans faille. Notre mère était notre soleil dans la nuit affective de notre père. Les trois premières années de ma vie, en compagnie de ma sœur, se déroulèrent ainsi, toutes deux entourées de cet amour maternelle singulier, jusqu'à ce que mon père soit nommé ambassadeur en 1518, et envoyé dans l'empire Ottoman, à Constantinople.
Contraintes de quitter cette Angleterre, qui était si chère à ma mère Caroline et à ma sœur, notre lien déjà intense, se mua en une relation fusionnelle, alors que ce monde inconnu nous ouvrait ses bras.
Très peu de souvenirs me sont restés de ce peuple, à mes yeux étrange, et de la vie à Constantinople. Seuls se gravèrent dans ma mémoire les paysages que j'admirais des hauts balcons, des couleurs, des ornements et des œuvres d'art qui ornaient notre demeure. Tout ce qui me semblait alors merveilleux. Me souvins-je aussi peut-être des leçons que nous fit prendre père, à Emily et à moi. Et de notre professeur à la mine sévère de ceux qui semblent prendre un malin plaisir à rendre leurs cours magistraux d'un ennui mortel.
Mais peut-être que tout ce qui a éludé mes moments de bonheur dont je ne parviens à retrouver la trace, fut causé par le décès de ma mère, morte en accouchant d'un fils mort-né.. un triste jour d'automne de l'an de grâce 1523, lors de mes huit ans. Des centaines de lames qui transpercent ma chair de part en part? Les flammes qui me consument douloureusement? Une trappe qui cède sous mes pieds et qui me précipite dans le néant? Non. Je ne parviendrai pas à définir fidèlement ce que j'ai ressenti ce jour-là, hormis souffrance. La souffrance terrible de la perte d'un être cher. Qu'allions-nous devenir sans l'amour protecteur de notre mère, face à cet homme, un peu plus rongé par la déception chaque jour? En réponse à cette interrogation muette qui me hantait, ma sœur Emily se fit un substitut attentif et bienveillant de ma défunte mère. Elle fut mon bouclier protecteur et l'oreille attentive de mes jours sombres.
Nous n'eûmes pas longtemps à supporter l'environnement familier où nous avions coulé des jours heureux avec notre mère, et qui désormais était son tombeau, et le ciel d'azur qu'elle aimait tant contempler, son linceul.
Notre père fut envoyé en 1524 en Autriche, à Vienne. De cette ville, nous n'eûmes qu'à profiter des études que nous imposait George. Les mathématiques et les sciences furent nos principales matières, tandis que l'on nous dispensait aussi chaque jour des cours d'escrimes. Ma sœur prenait grand plaisir à ce qui ressemblait à un loisir ludique, bien qu'elle se montra nettement plus aisée à l'arc.
Néanmoins, je ne m'intéressais que peu aux sciences, pas plus qu'à l'art du combat. Je sentais que tout mon être se tournait vers les arts et la littérature. Je savais que ma passion résidait en cela, mais à mon plus grand malheur, mon père refusa catégoriquement de m'envoyer poursuivre des études d'arts en France. Mais je trouvais tout même manière à assouvir mes passions grâce à la danse et à la musique.
Nous voyageâmes avec ma sœur à Bruxelles au Pays-Bas, loin de l'humeur exécrable de notre père durant sept semaines alors que je fêtais mes seize ans.
Quelle ne fut pas ma joie secrète, lorsque mon père expira son dernier souffle en l'an de grâce 1533, suite à une violente épidémie de choléra. Nous héritions ainsi, ma sœur et moi, de l'intégralité de la fortune des Ashworth et nous devenions officiellement comtesses. Et surtout, nous étions libres!
Nous quittâmes aussitôt Vienne, sous ordre de notre roi Henri VIII. Emily retourna à Londres, dans son Angleterre qui lui avait tant manquée, pour rentrer au service de la reine Anne Boleyn, en tant que dame de compagnie. Je décidais pour ma part, de partir immédiatement à Paris, capitale des arts et de la littérature, mon grand rêve.
Mes années les plus heureuses ont dû être celles-là, bien que je fusse séparée de ma soeur pour la première fois en dix-huit ans. J'exprimais enfin ma vraie passion avec des gens qui la partageaient et qui la ressentaient tout comme moi. J'étais dans mon élément, j'y baignais toute entière, les mots étaient mon air et ils me permirent de faire tout à fait le deuil de ma mère, Caroline. Les arts, la danse, la musique, l'écriture, tout y était pour me combler.
C'est aussi durant ce temps-là, que j'appris les badinages amoureux innocents. Ceux qui naissent, aussi pures et frais que la rosée du matin. Je vécue mon premier grand amour en France. Je tairais son nom car nos destins n'étaient malheureusement pas fait pour se croiser dans cette vie-là. Peut-être alors dans une autre serons-nous alors réunis?
Trois ans ce sont écoulés, et je crois désormais que je vais retourner en Angleterre. Je retrouverai ma sœur Emily à Londres. Elle m'a tant manquée, et malgré nos correspondances soutenues et ses voyages pour venir me visiter, je crains d'avoir encore beaucoup de choses à lui raconter. Je vais aussi faire mes premiers pas hésitants à la cour du roi Henri VIII. Heureusement, ma sœur sera là pour m'en inculquer les adages, elle qui est très impliquée dans la vie politique et religieuse de notre Angleterre.
Je suis à la fois excitée et angoissée. Angleterre, je te retrouve après tant d'années de séparation. Me voilà enfin de retour sur les terres de mes aïeuls.

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