Thomas H. Cram God of Mischief Prince of Lies
♣ Messages : 77 ♣ Livre Sterling : 234 ♣ Date d'inscription : 16/11/2011 ♣ Localisation : Au sommet de sa Tour d'Ivoire ♣ Age du personnage : 27 ans ♣ Profession : Chasseur d'hérétiques
| Sujet: Morne plaine, morte plaine | f.r.e.e Dim 5 Fév - 18:13 | |
| ஜ Thomas & ... ஜBattez la campagne, mais gare aux loups Un mois de juillet peu commun, vraiment. Un été en tout point différent de ce que tous avaient connu, où la pluie avait remplacé le soleil, et les nuées enragées le ciel pur des mois censées être les plus chaud de l’année. Beaucoup n’oublieraient pas. Mais ce n’était pas à cause du temps, presque miraculeusement clément en cette journée aussi grise qu’un bloc de marbre mortuaire, que les mémoires retiendraient ce jour. Du moins pas dans ce petit village perdu en pleine campagne, loin de tout, de Londres comme de Landscape, minuscule bourgade ayant encore un pied dans le passé.
Le hameau comptait un unique pont, structure grossière d’épaisses pierres prêtes à défier le temps aussi bien que les intempéries, et c’était sur ce pont que se tenait Thomas, appuyé contre un des murets, les bras croisés, perdu dans la contemplation de l’autre muret. Et plus exactement des cordes qui y étaient attachées. Sous ses pieds, l’eau du cours d’eau grondait, impétueuse, charriant les débris apportés par un orage qui ne manquerait pas d’éclater à nouveau dans les prochains jours. Et les cordes grinçaient doucement, tendues à l’extrême sans pourtant se rompre, le chanvre résistant quoi qu’il puisse advenir aux poids retenus en contrebas, complètement immergés et ballotés par le courant.
Ce qui avait été accroché à ces attaches ? Trois femmes, une pour chaque lien. Un nœud coulant pour chaque cou. Une sentence pour chacune d’entre elle. Quelques heures plus tôt, dans la matinée, s’était tenu un procès qui demeurerait dans les annales de cette petite communauté, entièrement rassemblée pour l’occasion dans la vaste demeure située au centre du bourg, et qui abritait aussi bien les fêtes des moissons que les réunions officielles. Là, entouré du bourgmestre et de quelques dignitaires de faible volée s’étant pompeusement déplacés, un abbé avait mené de main de maître un procès dont la conclusion n’avait étonné personne : au nom de Dieu et de Jésus Christ son Fils, ces enfants du démon seraient exécutés le jour-même pour sorcellerie et pacte avec le Diable. Une vielle femme, une nourrice et une adolescente toute de pleurs et de terreur. Thomas n’avait pas été le chef d’orchestre de tout ceci, non. Comme tous les villageois, il s’était tenu dans le public, ombre silencieuse suivant les débats d’une oreille discrète, sachant pertinemment que tout avait déjà été tranché avant même que les accusée ne paraissent les fers aux poignets et aux chevilles. S’il se trouvait là, c’était parce qu’on l’y avait invité : plusieurs de ses collègues, d’épais mercenaires l’appréciant amicalement et de la compagnie desquels le jeune homme parvenait à goûter, avaient débusqué le gibier, et dans une volonté de fraternité professionnelle, l’avait enjoint à les retrouver pour suivre la conclusion de leur œuvre, pour ensuite fêter dignement la réception de leur paie. N’étant pas vaniteux au point de les ignorer, du fait de cette affaire qu’il n’avait pas lui-même réglée, Cram avait accepté avec complaisance. Après tout, il s’agissait d’un moyen comme d’un autre afin d’éprouver les méthodes de ses comparses, de noter encore et toujours le monde que le séparait d’eux, brutes épaisses n’aspirant qu’à être rondement récompensés pour leurs faits d’armes et leur absence de scrupules. Eux, des amis ? Le britannique ne s’en comptait aucun parmi eux. Mais leur confrérie, leur caste, cette petite communauté d’hommes ne reculant pas devant le meurtre officiel devait se serrer les coudes, présenter aux yeux du monde une unité naturelle assurant à tous qu’elle ne disparaitrait pas, happées par quelques tensions internes. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Chacun avait sa place, son rôle.
Cette hiérarchie parfaitement orchestrée fut particulièrement notable lorsque la sentence fut exécutée. Religieusement, le peuple était demeuré de part et d’autre du pont, laissant toute la longueur du passage aux chasseurs, à leurs représentants, au prêtre : ceux qui décidaient du bon vouloir du Ciel, ce qui avaient le pouvoir de vie ou de mort. Thomas s’était joint à eux, car tel était son métier, une profession faisant de lui un être craint et respecté. Cette lueur, dans les yeux crasseux des plus pauvres, ces regards à la fois plein d’admiration et de crainte.
Les condamnées traversèrent la foule en silence, recevant maints quolibets et injures diverses. Certains pensaient qu’avec des mots cruels, ils exorciseraient plus facilement la peur qui les tenaillait devant ces créatures dites démoniaques dont ils ne comprenaient pas grand-chose. L’homme d’Eglise leur demanda si elles désiraient avouer leur crime, ce qui leur permettrait d’obtenir la grâce. Ce fut la plus jeune qui céda la première. Bégayant, pleurant, pleine de fol espoir, elle assura être sorcière. Le prêtre eu un mince sourire méprisant, et ordonna qu’on lui passe un nœud coulant autour de la gorge. Elle ne comprit pas, la panique se lut dans ses yeux ; il n’y avait pourtant pas mauvais tour plus classique. L’amnistie lui serait accordée dans l’Autre Monde, car su Terre, son destin se voyait scellé. Elle mourrait quand même, quoi qu’elle puisse dire, une fatalité à laquelle s’étaient soumises les deux autres. Les prières, les suppliques, tout cela semblait tellement irréel, car tant illusoires, inutiles. À chaque fois, Thomas ne pouvais s’empêcher de trouver celles et ceux sur le point de périr mais conservant toute leur dignité autrement plus respectables que les êtres rampants cherchant par tous les moyens possibles à se soustraire au châtiment prévu. Cette force de caractère, malgré l’aspect dramatique de l’instant, ces postures résignées et en même temps prêtes à braver le pire… Voilà bien le plus bel hommage que ces femmes pouvaient faire à l’âme humaine, car il n’y avait bien qu’à l’instant de franchir les portes de l’Au-delà que les hommes savaient abandonner leur manteau de défauts pour enfin faire montre de ce qu’ils avaient dans le ventre. À quelques exceptions près.
La pleureuse fut la première à trépasser. Les conversations ambiantes s’étaient arrêtées pour laisser place à un silence aussi opaque qu’un brouillard figé, et lorsque deux des mercenaires soulevèrent la jeune femme pour la faire brusquement basculer par-dessus le muret, tous les souffles se retinrent. Avec un claquement sec, la nuque de la condamnée se brisa net sous le choc ; au moins ses souffrances auraient-elles été brèves. Il en fut de même pour la seconde ; quand à la dernière, elle n’eut pas cette chance, et son corps se convulsionna à plusieurs reprises dans le vide avant de s’immobiliser à jamais. Puis l’on déroula défit les nœuds, et accorda du mou aux cordages, faisant lentement descendre les cadavres jusqu’à ce qu’ils soient complètement immergés. Ainsi, l’eau laverait définitivement leurs corps mortels de toute souillure… Ce soir, lorsque la lune aurait repris ses droits dans le ciel d’un gris délavé, on les remonterait, et l’homme finirait son office et signant à l’eau bénite les visages palis par le froid du torrent, et les hommes du village enterreraient les dépouilles loin de toute terre consacrée. Fin du chapitre.
L’anglais tout cela, ça n’était pas sa première exécution. Ici, il n’y avait eu ni bucher ni torture, une simple pendaison réalisée avec les moyens à disposition, sous l’œil attentif de la populace. Il n’avait été qu’un spectateur silencieux et anonyme de cette pratique, il y avait donc encore moins de raison qu’il trouve matière à éprouver des remords, lui qui déjà n’en éprouvait jamais, même lorsqu’il se trouvait être la cause d’une mise à mort. Seul sur le pont, alors que les paysans commençaient à se disperser de part et d’autre du pont sans oser encore le franchir, et que les autres membres du tribunal s’étaient regroupés du côté du hameau pour discuter de choses et d’autres –à quel point tout s’était déroulé sans accroc, la somme exacte à verser aux chasseurs-, Thomas se laissa donc aller à une contemplation désintéressée de ces fameuses cordes au bout desquels de bien laids présents attendaient ceux qui voudraient bien les extirper du cours d’eau. Une citation en italien lui revint, telle une parfaite maxime sentenciant parfaitement la scène s’étant offerte à lui : sono io la morte e porto corona, io son di tutti voi signora e padrona*. Oui, lui comme ses camardes, ils étaient princes de mort, chevaliers noirs apportant le deuil au nom de l’Eglise. Ce constat avait quelque chose de saisissant, presque grandiose, et à chaque qu’il y pensait, le traqueur notait qu’une once de panache orgueilleux tentait de l’enorgueillir. Mieux valait méditer sur tout cela, en parfaite solitude, loin de ses amis aux rires paillards, et des sujets à l’esprit trop simple pour saisir ce genre de réflexions. La nature profonde de l’être humain, le rôle que chacun tenait ici bas, le sens du mot péché ou encore du mot de justice, voilà à quoi songeait Thomas, philosophant intérieurement simplement pour s’occuper l’esprit, exercer encore et encore sa raison si performante. À l’inverse des habitants, il ne craignait nullement de demeurer là, si proche de ces abominables nœuds rappelant la présence sous-jacente des trois mortes. Et à l’opposé de ses pairs, il n’était pas passé à autre chose, comme tout travailleur ayant accompli sa besogne, et désirant passer à quelque chose de plus attrayant. Thomas était un tueur pensant, ce qui le rendait, comme toujours, unique, dépourvu de tout camp. Et c’était sans doute à cela qu’il songeait également, son regard émeraude fixant le rebord du parapet en face de lui.
Un vent polaire se leva, venant gifler les vivants, comme un avant-goût de la froidure du baiser de la Faucheuse. Il resserra un peu plus les bras autour de lui ; sous ses pieds, les cordes grincèrent de concert, en ce sinistre mois de juillet.
* Je suis la mort et je porte la couronne Je suis de vous tous la maitresse Ballo in fa diesis minore, Angelo Branduardi
Post largement inspiré d’une des premières scenes du “Dernier des Templiers”, un excellent film que je vous recommande chaudement : D |
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