Londres grouillait. C’était l’une de ses heures qui précèdent le coucher du soleil, et où chaque habitant semble vouloir se jeter dehors pour faire ses adieux à l’astre du jour. Londres grouillait donc. Olivier n’aimait pas ces moments-là, car il ne pouvait faire deux pas sans qu’un Londonien à l’hypocrisie et la niaiserie dégoulinantes ne lui adressent la parole. C’était pour cela que généralement il ne sortait pas de chez lui à cette heure-là. Pas sans une très bonne raison, ou une personne à voir, les gens étant étrangement moins prompts à désobliger deux personnes qu’une seule. Ce soir-là, c’était une personne à voir, et une très bonne raison. Il fallait qu’il parle à Messire Liam Turner. Un ami, en quelque sorte… Liam et lui partageait un amour du bon vin et une haine des femmes qui en faisaient deux très bons compagnons de bar, chose découverte peu de temps auparavant, et depuis vérifiée à plusieurs reprises. Mais ce n’était pas pour cela qu’Olivier devait retrouver l’anglais ce jour-là, ou pas juste pour cela. Olivier, à son arrivée en Angleterre, avait bien été obligé de se trouver quelque chose à faire pour s’occuper. Vivre sur la fortune qu’il aurait pu se faire ramener de son Comté en France aurait été plus agréable et plus simple, à la condition bien sûr qu’il ne soit pas fait passer pour mort en disparaissant. Qu’un fantôme réclame de l’argent, c’était tout de même assez rare. Il était certes parti avec assez pour vivre plus que convenablement pendant un long moment, mais en plus des problèmes d’argent qui finiraient bien par le toucher, le vin et le jeu ne lui suffisaient plus, et il souffrait de l’un des pires maux des hommes : l’ennui. Il s’était donc décidé à réclamer le droit, l’honneur même, de devenir chevalier. Ne lui restait plus qu’un personne dont il devait obtenir l’appui pour cela : le maître d’armes Liam Turner.
Voilà donc ce qui l’avait poussé à sortir de chez lui à cette heure qui lui était si désagréable, à traverser la moitié de la ville la plus grise et la plus triste au monde pour aller retrouver son ami. Et il était depuis quelques minutes dans une discussion avec lui déjà. Un sourire, et ils étaient rares ceux qui se dessinaient sur les lèvres du français, éclairé son visage. Olivier était de ces hommes qui n’avaient peur de rien, et qui ne pouvait que désirer plus encore ce que l’on leur donnait avec difficulté. Aussi, son cœur s’étant arrêté sur la chevalerie, il ne cèderait rien avant d’avoir obtenu de son ami ce qu’il désirait. Cela avait d’ailleurs quelque chose de réconfortant, il se sentait ainsi redevenir le guerrier qu’il avait été, un jour, dans sa tête, avec qu’un femme n’occupe totalement son esprit. « Oui, je souhaite être chevalier Messire. Je sais que c’est de vous dont dépend mon avenir mon ami, je sais aussi que les gentilshommes anglais chevaliers sont parmi les plus braves et les meilleurs d’Europe, et c’est précisément pour ceci que je souhaite les rejoindre. S’il vous faut des preuves de ma détermination, demandez, je suis votre homme et je... »
La voix du Comte resta en suspens. Deux femmes, deux catins certainement, s’étaient approchées d’eux et les regarder de façon équivoque. Elles étaient belles, mais l’homme était depuis un moment déjà insensible aux charmes du sexe faible, et ces deux créatures là perdaient leur temps. En les regardant, il ne put s’empêcher de penser un instant à sa femme, sa belle femme rousse qu’il avait tant aimé, et qui l’avait trompé, qui lui avait menti, qui l’avait blessée plus surement et de façon plus profonde qu’un homme armait de la meilleure épée qu’il soit aurait pu le faire. Petite garce. Petites garces elles aussi. Les femmes se valaient toutes. Il le détestait toutes avec la même force, et rien ne changerait cela. Il leur jeta un regard méprisant, avant de reporter son attention vers son ami, qui avait pour la gent féminine un amour très semblable au sien. Il s’adressa à lui d’une voix un peu plus forte de façon à ce que les deux intruses l’entendent. « Que direz-vous d’aller boire un verre un peu plus tard ? Loin d’ici cependant, car nous ne serions y être tranquille… » Les deux gêneuses, comprenant peut-être que toutes tentatives de séduction sur ses hommes étaient inutiles, disparaissaient déjà. La mâchoire d’Olivier qui s’était crispée sans même qu’il ne s’en rende compte se desserra, et le nuage qui avait assombri ses traits disparu avec les jupons.
« De quoi parlions-nous déjà ? »
L'alcool, c'est un ami qui te veut du mal, mais qui te fait du bien. || Liam & Olivier